I. Dévaluation, inflation et taux de change
On suppose donc une dévaluation importante de la France, mais qui est dépassée par les pays du « Sud » (Italie, Espagne, Portugal, Grèce). La Belgique et le Luxembourg restent en Union monétaire et dévaluent sensiblement moins. L’Allemagne, suivie par les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande, est soumise à des pressions pour réévaluer, pressions qu’elle arrive a relativement contrôler. Nous ne tranchons pas sur la question de savoir si ces quatre pays conservent un Euro résiduel pour une période limitée ou si les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande adoptent une stratégie d’indexation sur le Deutsche Mark (Pegging). Par rapport au Dollar US, les parités pour une unité des nouvelles monnaies s’établissent de 1,495 USD pour le 1 DM à 0,65 USD pour une Drachme.
Mouvement des taux de change à partir de l’Euro et taux de change en résultant avec le Dollar US
|
|
|
Taux de change avec le Dollar US
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Les conséquences en matière d’inflation sont assez différentes suivant les pays dans la mesure où la part de leur commerce fait avec la zone Euro varie assez fortement. On n’a différencié le commerce à l’intérieur de l’ex-zone Euro que pour la France. Nous donnons ici les poids relatifs des parts des importations dans le PIB en pourcentage pour le commerce dans l’ex-zone Euro et dans le « reste du monde ». Les pondérations correspondent aux chiffres de 2010 issus des bases de données de l’OCDE.
Matrice des parts des importations pour le calcul des taux d’inflation
|
Part des importations en % du PIB réalisé avec l’ex Zone Euro
|
Part des importations en % du PIB réalisé avec le « reste du monde »
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Le calcul de l’inflation se fait sur 6 périodes de 12 mois chaque (T étant l’année de dévaluation). Les taux d’inflation correspondent ici à d’une part l’inflation importée (différenciée dans le cas de la France au sein de l’ex-zone Euro) et d’une inflation dite « structurelle ». Il faut noter que l’on n’a pas cherché à mesurer un effet de substitution de la production nationale aux produits importés, phénomène susceptible de réduire l’inflation importée dans les deux premières années où elle est la plus sensible.
Taux d’inflation par période
De même à-t-on négligé de représenter des phénomènes d’indexation prix-salaires qui peuvent exister résiduellement. Par contre, on considère que ces phénomènes peuvent être approximés par l’établissement de taux d’inflation structurelle différenciés par pays. Pour le cas de la France, nous faisons l’hypothèse que la contrainte sur les prix se relâcherait quelque peu en fin de cycle et que le niveau d’inflation hors inflation importée passerait de 2% à 3% en fin de cycle.
Taux d’inflation hors inflation importée
On suppose que le taux d’inflation hors inflation importée est particulièrement grand en Italie, Espagne, Portugal et Grèce. Il est par contre faible dans les pays liés à l’Allemagne et dans ce dernier pays.
On constate qu’après une forte divergence qui dure 3 périodes, les taux d’inflation convergent tout en restant cependant différents. Ceci pourrait imposer aux pays les moins capables de maîtriser leur inflation de laisser leur monnaie se déprécier après 4 ou 5 périodes. Nous ne cherchons pas à simuler cette possibilité et nous nous contentons de l’évoquer.
Les taux d’inflation permettent alors, à partir des taux de change initial, de calculer les taux de change corrigés de l’inflation (à ne pas confondre avec les taux de change réels qui font intervenir les différences des gains de productivité par pays). Par ailleurs, on attribue un taux d’inflation de 3% aux États-Unis, ce qui nous semble réaliste dans la situation actuelle, et compte tenu de la politique monétaire menée par la réserve Fédérale.
On constate que la France voit le taux de change du Franc se stabiliser à 1,1 Dollar US après être parti de 1,04. On voit que l’Allemagne, partie d’un taux de change très élevé (1,495 Dollar US) voit le taux déflaté des inflations allemandes et américaines revenir vers 1,20 Dollar au bout de 7 périodes de 12 mois consécutifs (84 mois). On remarque aussi que la Belgique, en raison de l’inflation importée, se trouve dans une situation assez défavorable à compter de la 4ème période (48 mois). C’est typiquement un cas ou une nouvelle dépréciation progressive du change devrait s’imposer.
À ce stade, deux remarques s’imposent concernant l’ampleur du choc d’inflation induit par une forte dévaluation. Ce choc est important, mais il est bref. Il est estimé par notre modèle à 8,9% au total sur 3 périodes, l’essentiel étant concentré sur la première. Tout d’abord, on a pris le parti de ne pas le répartir sur plusieurs périodes, ce qui suppose un mécanisme de diffusion des prix très rapide. En fait, la hausse des prix induite par la hausse des prix importée (7% en première période et 1,7% en deuxième période) pourrait bien être « lissée » sur deux ou trois périodes. Ne disposant pas d’informations statistiques fiables sur la vitesse de diffusion des prix, cette hypothèse, pourtant crédible, n’a pas été retenue. Le mouvement réel de l’inflation serait moins brutal mais plus prolongé que celui de la simulation. Ensuite, la possibilité que l’État intervienne sur les prix des carburants (par un mécanisme de type TIPP flottante), n’a pas été retenu. Cette possibilité est cependant probable dans le cas d’une forte dévaluation. Ici encore, cela aurait pour effet de réduire l’ampleur du choc initial d’inflation, peut être à hauteur de 1%.
II. L’impact de la dévaluation sur la croissance
L’impact sur la croissance constitue, bien entendu, le point principal de cette investigation.
Le PIB d’un pays, en économie ouverte s’écrit :
Y = C+I+VarS+Exp-Imp où :
C est la consommation finale, se décomposant en Cm la consommation finale des ménages et Ce celle des entreprises.
I est l’investissement, se décomposant en Il (investissement des ménages dans le logement) et Ie investissement des entreprises.
VarS est la variation des stocks.
Exp représente les exportations.
Imp représente les importations.
Dans un premier temps on regardera l’impact mécanique de la dévaluation sur les exportations et les importations. Pour cela on utilisera les élasticités aux prix qui ont été publiées dans différents travaux, dont ceux de P. Artus.
Dans un deuxième temps, on répartira dans le temps (sur 3 périodes) l’effet de la dévaluation, on indexera aussi les importations au mouvement des exportations, car ces dernières utilisent des produits importés.
Dans un troisième temps, on regardera les conséquences fiscales du processus et l’on supposera que les dépenses étant plus ou moins indexées sur l’inflation, la hausse des recettes est elle fonction du PIB (taux de pression fiscale). Dès lors, on fera une hypothèse de croissance de ces recettes qui aboutit à la suppression du déficit budgétaire, et l’on regardera l’impact sur la croissance via une valeur réaliste (1,4) du multiplicateur des dépenses publiques.
Effets de la dévaluation sur le commerce extérieur
Chiffres en milliers de dollars US (valeurs de 2010)
On introduit une période « 0 » qui sert de base aux calculs, et qui est représentative de l’état de la France en 2010. On voit sur le tableau 5 que l’impact des variations de prix, modulé des élasticités prix, sur les importations et les exportations est très fort et quasi-immédiat. Ceci entraîne une forte hausse du PIB (+18%). Cet effet cependant ne dure que 2 périodes. Par ailleurs, la forte hausse des exportations (+58,8%), doit nécessairement provoquer une hausse des importations (matières premières et produits semi-finis).
C’est pourquoi, on procède à une seconde simulation où l’on va tout d’abord lisser sur trois périodes le choc initial, puis sur deux périodes les effets résiduels1, mais surtout où l’on va imputer sur les importations l’effet de la hausse des exportations.
Effets d’une dévaluation sur le commerce extérieur avec lissage des effets et effets induits de la hausse des exportations sur les importations.
Données en valeur : Dollar US (prix 2010)
La baisse des importations dans le PIB est moins forte et la croissance plus faible mais aussi mieux réparties dans le temps. Ceci correspond aux deux hypothèses « réalistes » qui ont été faites. On peut d’ailleurs le constater sur le graphique 4 où l’on voit que l’effet de la dévaluation atteint son maximum à la deuxième période et décline jusqu’à la période T+4.
Il faut cependant ajouter deux autres mécanismes afin de mieux simuler la réalité. Le premier est lié à la demande et à la fiscalité. La hausse du PIB réel va entraîner une hausse des recettes réelles (la hausse liée à l’inflation étant absorbée par la hausse des dépenses publiques). Une partie de cette hausse peut être rétrocédée à l’économie (ménages et entreprises). La baisse de la pression fiscale va engendrer une hausse de la croissance par un effet multiplicateur des dépenses publiques. On suppose que le multiplicateur est ici égal à 1,4.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Gain fiscal potentiel corrigé de la diminution des recettes
|
|
|
|
|
|
|
Effet multiplicateur sur la croissance (e=1,4)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Idem + multiplicateur des dépenses fiscales
|
|
|
|
|
|
|
On utilise pour le tableau 7 le taux de croissance corrigé par introduction des importations induites par les exportations, et lissé de la seconde simulation. Compte tenu de la forte hausse du PIB réel, on peut réduire les recettes potentielles pendant les 5 premières périodes (60 mois). L’impact du multiplicateur des dépenses publiques est important. Cela aboutit à un surcroît de croissance. Le deuxième mécanisme est la hausse des investissements (ménages et entreprises) qu’induit la croissance avec un délai d’un an. Cet accroissement de l’investissement provoque une hausse de la demande interne (dont on a déjà tenu compte pour les importations par l’effet des exportations sur les importations).
Incorporation de l’effet d’investissement et de sa répercussion sur le taux de croissance final par l’effet demande
|
|
|
|
|
|
|
Taux de croissance issu du Tab.7
|
|
|
|
|
|
|
Taux de croissance de la FBCF induit par la croissance
|
|
|
|
|
|
|
Taux de croissance induit par l’accroissement de la FBCF (effet demande)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Compte tenu du décalage d’un an adopté la croissance de la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF) est la plus importante à la troisième période (T+2). L’effet de demande par contre s’applique au sein de la même période sans décalage. Si l’on compare maintenant les résultats obtenus par les effets directs de la dévaluation (corrigés de l’impact des exports sur les imports, et lissés) et par les effets indirects, la différence apparaît significative.
Comparaison des taux de croissance
|
|
|
|
|
|
|
Croissance par effets directs corrigée
|
|
|
|
|
|
|
Effet multiplicateur sur la croissance (e=1,4)
|
|
|
|
|
|
|
Taux de croissance induit par l’accroissement de la FBCF (effet demande)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Elle est même, dans certains cas, supérieure à l’effet direct de la dévaluation. C’est l’une des leçons que l’on peut tirer de ce modèle. Une dévaluation a des effets indirects sur le niveau d’activité qui sont au moins aussi importants que ses effets directs tels que l’on peut les mesurer par le commerce extérieur.
III. Le déficit et la dette publique
À partir du taux de croissance obtenu à la phase précédente, et des hypothèses de recettes et de dépenses (constantes en termes réels) on regarde comment évolue le déficit et la dette.
se transforme en dynamique en :
Déficit budgétaire / Croissance nominale.
Cela implique que le taux d’inflation aura une grande importance pour l’évolution dynamique du taux d’endettement. Or, on a vu dans la première partie de cette note que l’inflation serait incontestablement forte dans les deux premières années à la suite de la dévaluation.
On fait alors l’hypothèse que la dévaluation a lieu dans l’année 2013.
L’impact de cette dévaluation sur la dette a donné lieu à bien des fantasmes. Rappelons que 85% de la dette en montant est l’objet de contrats de droit français. La règle de droit international est que cette partie de la dette sera donc automatiquement transformée d’Euros en Francs. Une dévaluation ne pèsera que sur les 15% restant. Avec une dévaluation de 20% par rapport au Dollar, cela signifie que les 1800 milliards d’euros deviendront 1867 milliards de francs. La différence étant de 67 milliards. À la période « 0 » le déficit est supposé égal à 3,7% du PIB et la dette à 90% du PIB.
Dette et déficit en Francs (ex-Euro) aux valeurs de fin 2012
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Gain fiscal potentiel corrigé de la hausse du PIB
|
|
|
|
|
|
|
Gain fiscal réel définitif
|
|
|
|
|
|
|
Gain fiscal réel en % du PIB
|
|
|
|
|
|
|
Déficit Budgétaire (%PIB)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[Note: Un signe (-) devant le déficit indique qu’il s’agit d’un excédent budgétaire.]
Le mouvement de décroissance de ces deux indicateurs est rapide. On aboutit même à un excédent budgétaire à partir de la 4ème période. Ceci indique qu’il est probable que les hypothèses fiscales adoptée dans ce modèle sont trop contraignantes et qu’il serait possible de baisser encore plus la pression fiscale à partir de la 4ème période pour soutenir la croissance. De même, toujours à la 4ème période, la dette publique revient à un niveau inférieur aux critères de Maastricht. Cela démontre, s’il en était besoin, que la combinaison d’une forte croissance et d’une inflation relativement importante est la meilleure solution aux problèmes d’endettement que le pays connaît.
Le modèle utilisé ici (qui est pour l’instant plus une maquette qu’un modèle complètement développé) montre que dans le cas d’un éclatement de l’Euro, il serait de l’intérêt de la France de dévaluer de manière importante sa monnaie. Les gains en croissance (et donc en emplois) et dans le domaine fiscal l’emportent de loin sur l’impact inflationniste. Ce dernier, important, serait par ailleurs limité dans le temps. Une autre chose démontrée ici est que les effets indirects de la dévaluation sont positifs et au moins aussi importants que les effets directs. C’est un point dont il faudra tenir compte à l’avenir.
Le modèle utilisé est inspiré d’un travail réalisé par Gérard LAFAY et Philippe MURER. À des fins de comparaison, il utilise les mêmes chiffres de bases (année 2010). La logique de ce modèle est néanmoins différente de celle suivie par mes deux collègues. Je porte seul la responsabilité de possibles erreurs et omissions.
La
dissolution, seul horizon raisonnable?
L’ampleur
de la récession qui frappe de nombreux pays annonce un retour de la
crise. La solvabilité des États n’est plus garantie.
L’effondrement des ressources fiscales dans de nombreux pays
constitue un accélérateur de la crise. Cette situation témoigne
bien de la présence de défauts structurels dans la conception et
dans la mise en œuvre de la monnaie unique[11].
Ces derniers, trop longtemps niés ou minimisés[12],
sont aujourd’hui en passe d’être reconnus
Une
dissolution de la zone Euro ne serait pas un « catastrophe »
comme on le prétend souvent, mais au contraire une solution
salvatrice pour l’Europe du Sud et la France. C’est ce que montre
l’étude « Les
Scénarii de Dissolution de l’Euro »,
publiée au début du mois de septembre[13].
On peut y lire, suivant les différentes hypothèses étudiées, non
seulement l’effet très bénéfique des dévaluations sur
l’économie française, mais aussi sur celles des pays aujourd’hui
ravagés par la crise, comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne.
Bien entendu, suivant les hypothèses retenues, à la fois sur le
caractère plus ou moins coopératif de cette dissolution mais aussi
sur la politique économique suivie, les estimations de la croissance
divergent. Au pire, il faut s’attendre une croissance cumulée de
8% la troisième année après la fin de l’Euro et au mieux une
croissance de 20%. Pour l’Europe du Sud, la croissance cumulée est
en moyenne de 6% pour l’Espagne, de 11% pour le Portugal et de 15%
pour la Grèce dans
l’hypothèse la plus défavorable pour ces pays.
Une première leçon s’impose alors : la dissolution de la
zone Euro ramènerait la croissance dans TOUS les pays d’Europe du
Sud et provoquerait une baisse massive et rapide du chômage. Pour la
France, on peut estimer la baisse du nombre de chômeurs de 1,0 à
2,5 millions en trois ans. Par ailleurs, cela rétablirait
l’équilibre des régimes de retraites et de protection sociale.
Dans le cas de la France, ce retour à l’équilibre serait très
rapide (en deux ans). Il aurait des effets importants sur les
anticipations des ménages dont l’horizon serait dégagé des
inquiétudes que font peser des réformes à répétition. La
consommation augmenterait, et avec elle la croissance, même si on ne
peut estimer cet effet. Cette dissolution redonnerait à
l’Europe du Sud sa vitalité économique, mais serait aussi
profitable à l’Allemagne, car une Europe du Sud en expansion
continuerait de commercer avec son voisin du nord après un
réajustement des compétitivités[14].
Les
inconvénients seraient très limités. Compte tenu des taxes,
l’impact d’une dévaluation de 25% par rapport au Dollar sur les
prix des carburants ne provoquerait qu’une hausse de 6% à 8% du
produit « à la pompe ». L’Euro disparu, les dettes des
différents États seraient re-libellées en monnaie nationale.
Une
telle politique imposerait aussi des contrôles des capitaux dans
chaque pays. Notons que c’est déjà le cas à Chypre ! Ces
contrôles, outre qu’ils contribueraient à définanciariser
ces économies, limiteraient considérablement la spéculation et
permettraient aux Banques Centrales de viser des objectifs de parité.
Une fois ces parités atteintes, un système de fluctuations
coordonnées des monnaies, comme du temps de l’ECU, pourrait être
mis en place. Historiquement, ce qui a sonné le glas de ce système
a été la spéculation monétaire. Celle-ci supprimée, ou fortement
réduite, le système pourrait à nouveau fonctionner.
De
la « monnaie unique » à la « monnaie commune » ?
Cette
idée attire un certain nombre d’hommes (et de femmes) politiques.
Et elle est loin d’être absurde, bien au contraire. En fait, une
monnaie commune aurait dû être adoptée dès le début.
De
quoi s’agit-il donc ? On peut imaginer que le système
monétaire européen reconstitué que l’on aurait à la suite de la
dissolution de l’Euro débouche sur une monnaie
commune
venant s’ajouter aux monnaies existantes, qui serait utilisée pour
l’ensemble des transactions (biens et services mais aussi
investissements) avec les autres pays.
Cette
dissolution de la zone Euro, si elle résulte d’un acte concerté
de la part des pays membres, devrait donner naissance à un système
monétaire européen (SME) chargé de garantir que la nécessaire
flexibilité des changes ne tourne pas au chaos. Si un tel système
est mis en place, il aurait nécessairement des conséquences
importantes sur le système monétaire international. Ce nouveau SME
devrait, pour pouvoir fonctionner correctement, avoir les
caractéristiques suivantes :
(i)
Les
parités entre les monnaies des pays parties prenantes de ce SME
doivent être fixes, tout en restant révisables de manière
régulière pour éviter que ne se reproduisent les déséquilibres
qui emportent aujourd’hui l’Euro.
Cela implique la constitution d’une unité
de compte
européenne et la réglementation des mouvements de capitaux à
l’intérieur de la zone. Si les mouvements de capitaux aux fins
d’investissement ne posent pas de problèmes du fait de la fixité
des parités, il ne doit y avoir qu’un marché très réduit des
options, lui-même sévèrement réglementé. Pour le reste, le
marché monétaire ne doit se faire qu’au comptant avec
interdiction absolue des positions à découvert.
(ii)
La
fixation des parités doit se faire de manière coordonnée,
dans le cadre d’un conseil financier européen, en prenant en
compte les évolutions de productivité et de l’inflation dans
chaque pays. Le but étant de réduire fortement les positions soit
créditrices soit débitrices en matière de balance des paiements.
Les
déficits comme les excédents internes au SME devraient alors être
reportés sur un compte spécial de la BCE – qui jouerait ainsi le
rôle d’institution de clearing – et devraient être taxés au
prorata de leur importance (par tranche) et de leur durée.
(iii)
Il
est important que la législation bancaire, en particulier pour les
banques de détail, soit harmonisée.
De ce point de vue, un mécanisme d’union bancaire est tout aussi
important qu’il ne l’était sous l’Euro. Cette union bancaire
devrait être administrée par la BCE, dont les compétences et le
rôle seraient alors redéfinis par un nouveau statut.
(iv)
La
Banque Centrale Européenne aura la responsabilité de la gestion de
l’unité de compte vis-à-vis des pays «hors zone».
Cela
implique qu’elle aurait la responsabilité d’avoir un objectif de
taux de change de l’unité de compte par rapport aux autres
monnaies (hors-SME), et qu’elle devrait pouvoir intervenir pour
défendre cet objectif sur les marchés financiers. Les transactions
tant commerciales que financières hors du SME ne se feraient alors
qu’en unité de compte.
(v)
Dans
ce système monétaire européen, il n’est ni nécessaire ni
souhaitable que le statut actuel des Banques Centrales soit conservé.
Il convient de rapprocher les Banques Centrales des gouvernements –
en passant d’une «indépendance» à une «autonomie» dans
l’application des politiques décidées par les gouvernements –
et de leur permettre de couvrir par des prêts et avances au minimum
la partie non-structurelle du déficit (poids des intérêts de la
dette, mesures budgétaires spéciales pour faire face à des crises
ou tout autre imprévu).
(vi)
La
dette des pays, pour l’heure détenue de 30% à 65% par des
non-résidents (majoritairement européens) serait progressivement
renationalisée.
Les émissions de dettes ne pourraient se faire qu’en monnaie
nationale, sauf accord européen pour maintenir une monnaie commune
externe, qui devrait offrir des actifs de placements internationaux
et qui justifierait qu’une part minimum des dettes soient libellée
dans cette monnaie commune. En fait, l’usage de mécanismes comme
les planchers minimums d’effets publics dans les actifs des banques
fournirait les ressources nécessaires.
(vii)
L’unité
de compte fonctionnerait comme un « panier » de monnaies,
où les proportions de chaque monnaie, tout comme leurs parités
pourraient être révisables.
Ce
système correspondrait en réalité à l’existence d’une monnaie
conçue comme une unité de compte venant s’ajouter aux monnaies
nationales existantes. Cette situation serait très propice à la
résurrection de l’Euro, mais sous la forme d’une monnaie commune
Ceci
donnerait à l’Europe à la fois la flexibilité interne dont elle
a besoin et la stabilité vis-à-vis du reste du monde. Un « panier
de monnaie » étant intrinsèquement plus stable qu’une
monnaie seule, cette monnaie
commune
pourrait devenir à terme un puissant instrument de réserve,
correspondant aux désirs exprimés par les pays émergents des
BRICS.
La
dissolution de l’Euro, dans ces conditions, signerait non pas la
fin de l’Europe comme on le prétend mais bien au contraire son
retour gagnant dans l’économie mondiale, et qui plus est un retour
qui profiterait massivement, tant par la croissance que par
l’émergence à terme d’un instrument de réserve, aux pays en
développement d’Asie et d’Afrique.
[1]
Thelier C., « Italie, une rentrée agitée », NATIXIS
Special Report,
n° 155, 13 septembre, Paris.
[2]
Artus P., « En quoi pourrait consister une nouvelle aide à la
Grèce ?» FLASH-ECONOMIE
Natixis,
n° 598, 30 août 2013, Paris.
[3]
Biböw J., « The Euro and Its Guardian of Stability » in
Rochone L-P et S. Yinka Olawoye (edits), Monetary
Policy and Central Banking : New Directions in Post-Keynesian
Theory,
Edwrd Elgar, Cheltenham et Northampton, 2012, pp. 190-226.
[4]
Flassbeck H., « Wage Divergence in Euroland : Explosive in
the Making » in Biböw J. et A. Terzi (edits.), Euroland
and the World Economy – Global Player or Global Drag ?,
Palgrave MacMillan, Londres, 2007.
[5]
B.C. Greenwald et J.E. Stiglitz, “Toward a Theory of Rigidities”
in American
Economic Review,
vol. 79, n°2, 1989, Papers
and Proceedings,
pp. 364-369. L. Ball et D. Romer, “Real Rigidities and the
Nonneutrality of Money” in Review
of Economic Studies,
1990, vol. 57, n°1, pp. 183-203.
[6]
Voir sur ce point Biböw J. et A. Terzi (edits.), Euroland
and the World Economy – Global Player or Global Drag ?,
op.cit..
[7]
Artus J., Trois
possibilités seulement pour la zone euro,
NATIXIS, Flash-Économie,
n°729, 25 octobre 2012.
[9]
Artus P., « La solidarité avec les autres pays de la zone euro
est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne
: rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui »,
NATIXIS, Flash-Économie,
n°508, 17 juillet 2012.
[10]
Comme le fait Michel Aglietta, Zone
Euro : éclatement ou fédération,
Michalon, Paris, 2012
[11]
Sapir J., Faut-il
Sortir de l’Euro ?
Le Seuil, Paris, 2012.
[12]
Des travaux comme ceux collationnés dans Biböw J. et A. Terzi
(edits.), Euroland
and the World Economy – Global Player or Global Drag ?,
Palgrave MacMillan, Londres, 2007.
[13]
Sapir J., et P. Murer (avec la contribution de C. Durand), Les
scenarii de la dissolution de l’Euro,
Étude de la Fondation Res
Publica,
septembre 2013, Paris, 88p.
[14]
Artus P. (red), « C’est la compétitivité-coût qui devient la
variable essentielle » in Flash-Economie,
Natixis, note n° 596, 30 août 2013, Paris.